Le moment était venu...
Gin avait pris l'initiative, en sortant des cours, de se mêler un peu à ses camarades. Il le fallait bien s’il voulait que les autres perçoivent une image ‘plus positive’ de lui. Se faire accepter volontairement dans ce monde des vivants, pour mieux l’user à ses propres dépend… comme il l’avait toujours fait.
Ne sortir que de nuit, se vêtir de noir et de prendre tout son temps, comme il en avait l’habitude, le rendait mystérieux, méfiant et donc étrange… Lui, personnellement, ne comprenait pas pourquoi son image devait se modifier de l’extérieur pour sembler digne de confiance… mais bon… les hommes sont ainsi et ne jugent qu’au premier regard.
Il attirait l’œil de personnes trop curieuses ou hasardeuses… ceux qu’il fuyait pour ne s’attaquer qu’aux faibles et ainsi s’offrir des proies faciles pour ses expériences.
Il devait viser plus haut aujourd’hui. Repaître sa logique et son jugement d’un sang nouveau… plus dangereux à quérir. Question d’objectivité certainement ? Ou quête de plus d’informations sur les perceptions humaines et sur la Mort elle-même ?
Gin n’avait pas changé de garde robe depuis le soir passé… toujours aussi sombre. Retournant à sa chambre, il avait pu récupérer un objet de valeur presque égale à son journal intime.
Une mallette noire à la main… Kira se déplaçait calmement, telle une âme en peine dans un paysage brumeux, à l’horizon plus clair. Son regard était bas, perdu. La courbe du dos légèrement voûtée vers l’avant, rendait sa démarche difficile à l’œil… comme si un poids l’écrasait. Le tintement régulier et blafard de sa chaîne contre sa hanche était bien la seule et faible résonance qu’il pouvait émettre aux alentours. Et son journal rangé dans sa poche, s’appuyait de sa main libre.
Les élèves s’accumulaient sur les pelouses entretenues de Cairn, au lac et aux abords des forêts tout en restant très prudent… Trop e monde pour lui.
Le demi vampire fait un détour très large autour de ses sections trop fréquentées pour se retrouver au calme.
Le bruit de ses pas qui craquaient sur le gravier du sentier s’estompe pour se plonger dans la verdure tendre d’un hors sentier. Son regard se promenait doucement de gauche à droite puis il s’arrêta. Laissant sa silhouette tortueuse glisser le long d’un tronc d’arbre noueux il dégage son journal intime de sa poche, déposant sa mallette au sol. La reliure craqua encore une fois sous son ouverture, révélant l’écriture noire et grasse sur un papier vieillis.
La plume s’appui et laisse l’encre s’écouler lentement entre ses gestes manuscrit :
-10h45… J’ai enfin pris l’initiative de me montrer aux autres, en plein jour et à la lumière de ma propre volonté, ici à Cairn… J’espère ainsi pouvoir m’attirer les faveurs trompées de certains et les attirer dans mes filets, pour mieux te compter mes observations et conclusions, mon ami.
Ceci est un essai, afin d’habituer mon regard… Tu sais que je n’ai pas vu cet astre maudit en face depuis près de quinze ans. J’attendrais qu’il se montre à moi pleinement… qu’il se dévoile pour me révéler à sa clarté divine.
J’espère m’adresser déjà à un individu non observé à l’avance.
J’attendrais… j’ai tout mon temps.
Les humains se plaignent de ne jamais avoir le temps de rien… Leurs moments heureux leurs semblent éphémères… et leurs instants sombres leurs paraissent infinis… Pourtant… le temps est le même et s’écoule de manière égale, inlassablement…-
Il referme ses pages et range son journal.
Son regard se porte à sa mallette. Il se courbe un peu plus en avant sur ses genoux repliés. Ouvrant les attaches sur le côté, Kira déboucle la boîte et laisse un violon se découvrir à ses yeux une nouvelle fois.
Le silence retombe lourdement autour de lui… le vent ne soufflait plus… l’air était assez pesant en réalité.
Gin n’en jouait pas souvent, seulement lorsqu’il avait besoin de s’exorciser de certains ressentiments ou passions qu’il ne se pouvait d’accomplir par d’autres gestes, de démontrer par la paroles ou l’écris…
La musique était pour lui une véritable catharsis de l’esprit, surtout lorsqu’elle venait de lui.
Prenant doucement l’instrument par le manche, il saisit l’archet, posant son menton sur sa caisse de résonance avec douceur… comme l’étreignant d’une passion tremblante, d’une excitation murmurée. Il fit glisser la mèche sur les quatre cordes, afin d’ajuster leur sonorité par les chevilles, puis l’emporta sur un ‘do’ étiré.
Brisant de ce fait le calme établi, ce dernier se fit plus lourd à sa retombée, le rendant presque insupportable à l’attente d’un nouveau son émit.
Un sourire s’esquissa sur ses lèvres, alors que quelques mèches sombres de ses cheveux retombaient devant son regard. Il ferma les yeux en expirant profondément. Pinçant quelques cordes entres ses longs doigts fins, il laissa entendre quelques notes d’une mélodie douce et répétée, avant de faire lentement courir le crin de l’archet sur les cordes, partant sur un long et unique son grave.
Ses doigts gauches, toujours postés sur le manche, se placèrent et appuyèrent sur les cordes, afin de laisser s’échapper une interminable mélodie harmonieuse…
Une certaine mélancolie et tristesse se ressentaient dans cette musique, qui se répercutait doucement les alentours… les quelques troncs d’arbres qui s’étaient échoués ici, au milieu des herbes folles.
Gin laissa un moment passer, rejouant cette litanie de manière plus appuyée, y mêlant une ardeur et une violence qui s’opposait au premier passage. Ses notes s’étirèrent à nouveau un peu, laissant un temps de calme avant de reprendre sa musique… Puis elle sombra à nouveau dans un ressentiment de cruauté.
Son regard s’ouvrit dans le vague, plongé sur le sol, quelques mètres devant lui. Le visage inexpressif, comme si tous ses sentiments étaient exprimés au travers de sa complainte, comme un trop plein expulsé dans un souffle d’air eurythmique.
Ses iris s’animèrent, se rivant sur la table d’harmonie, se reportant sur ses doigts gauche qui se déplaçaient avec agilité et rapidité sur les cordes, rejouant sans cesse cette mélodie enjouée qui ne laisserait certainement pas indifférente une oreille humaine…
Un sourire s’agrandit sur ses lèvres, restées closent et inertes pendant un temps, découvrant timidement une rangée de dents serrées par la force qu’il exerçait sur sa mâchoire, sous le soutien de sa musique. Son visage devient un peu plus excité, son regard se plissant sous un effort.
Il finit par laisser traîner les notes et l’air se calma, plus fluide tout d’un coup, comme apaisé… soulagé.
L’écho de l’improvisation se répercutait sur les environs, lui renvoyant sa musique avec un léger décalage, lui donnant l’impression que l’environnement prenait part à son jeu.
Gin se tenait toujours debout… dos à cet arbre imposant, dont la haute cime s’éclaircissait sous un rayon de soleil pointant à l’Est. L’ombre stagne sur la grande partie basse de ses racines, laissant le reste de la terre sombre.
Tout en continuant lentement sa complainte passionnée, il laissa sa musique mourir doucement entre ses doigts et gestes fluides… Ses notes s’étirèrent lentement dans une sorte de longue agonie mélodieuse.
Il fit quelques pas en avant, tout en penchant d’avantage son visage sur le côté, comme rassurant son instrument de la violence dont il venait de faire preuve et le rassurer de son état. Il ferma les yeux… accompagnant son ‘ami’ dans son sommeil…
Son journal intime dépassait de sa poche droite, et les légers mouvements de hanches que Gin réalisait à chacun de ses pas, finirent par le faire chuter, laissant la chaîne à laquelle il était rattaché se tendre sous son poids…
Le son métallique sec de cette réaction brisa le jeu de musique intime qui s’était établis entre Gin et son instrument… terminant sa mélodie par une fausse note stridente qui lui fit serrer les dents.
Frustré de ne pas avoir réussit à endormir son ‘complice’, il baissa un regard profond vers son journal ballant à sa hanche, semblant misérable, dans une tristesse sans force.
L’instrument, retenu par le manche, retourna à ses flancs, suivant son archet prit dans son autre paume.
Observant toujours son carnet sombre se balancer au bout de la chaîne tendue, il ajouta d’un ton doux et moqueur…
« Tu es… jaloux ? »Une présence attire son attention…
Le demi vampire détourne lentement son visage et son regard. Depuis combien de temps cette présence est ici ? Ou est-elle…